Dominic Besner

Depuis plusieurs années, Besner se consacre exclusivement à la peinture dans sa recherche d’une esthétique pour représenter sa vision du monde. Ses tableaux, colorés et émouvants, s’inspirent de ses études en architecture, de ses maîtres à penser en peinture et de ses rencontres au fil des ruelles de Montréal. Ses tableaux témoignent d’un regard insistant et ludique sur le monde qui nous entoure.

Technique et sujets

Le monde urbain

Pour Besner, la ville est le lieu suprême du dynamisme de la vie. La ville est l’image de la vitesse et, simultanément, celle de l’effervescence de la nuit. Souvent, la relation du personnage à l’espace pictural se compare à celle de l’artiste à la ville. Une certaine proximité les met en relation sans pour autant complètement prendre part à l’action qui s’y déroule. Dans ce rapport de distances, qui permet à l’artiste de créer et à la figure de vivre dans un milieu identifiable, les formes qui symbolisent le monde urbain se trouvent schématisées. À partir des formes évoquées, le spectateur devine cette ville. Il peut à la fois poursuivre dans son imaginaire la construction de cet univers et comprendre visuellement dans quel paysage vit le personnage de l’oeuvre.

Besner a fréquemment suggéré les formes architecturales dans ses œuvres, mais c’est tout récemment que l’architecture est devenue un sujet à part entière. Les formes inhérentes à cet art permettent à l’artiste de présenter une certaine vision de la ville fantastique de ses personnages. Bien que cette ville soit d’abord inventée, elle emprunte le plus souvent les références formelles de la cité médiévale. Les croix, les arches, les fenêtres en arc et même des tours font parties des formes reconnaissables de la cité et donnent parfois le sentiment d’apercevoir une cathédrale. Cette référence au Moyen-Âge est soutenue par l’utilisation d’une perspective construite par la juxtaposition de formes et non par l’imposition d’une profondeur spatiale complète. L’accumulation des structures engendre des tensions dans l’image, ce qui brouille la lecture d’une perspective linéaire. Le peintre rassemble un certain traitement de la perspective et le vocabulaire artistique d’une période.


Le personnage

Le personnage a longtemps été le sujet principal de l’œuvre de Besner. Au départ, c’est même de son visage que l’artiste soutirait toute l’émotion du tableau. Le masque blanc était devenu la marque de l’artiste. D’abord déposé sur le visage, il est devenu le visage pour finalement se dissoudre complètement et n’apparaître que ponctuellement. Ce visage s’est imposé comme le synonyme d’une éloquence à l’image des réflexions de l’artiste sur le rapport à la vie et à la mort. Considéré comme tel, le personnage ne pouvait pas prendre les traits des hommes et des femmes de la rue. Il devenait une entité propre et extérieure sans pour autant être mort ou fantôme. Ce masque blanc est régulièrement associé à la mort. Cette association est marquée par les réflexions de l’artiste sur la mort. Pour lui, elle est plutôt conçue comme le prestige du rite de passage. Elle n’est pas la mort punitive des chrétiens, entre enfer et paradis, mais plutôt la gloire relative à la façon de mourir, telle que la concevaient les Mexicains. Ses personnages prennent donc parfois le visage et l’attitude de fiers guerriers ou de femmes en cortège. Cette association de la mort avec l’œuvre de Besner est une réflexion sur la vie, celle où la mort est présente dans un cycle de renouvellement.

Le masque, c’est aussi le théâtre. Celui où les personnages prennent une nouvelle identité pour devenir amuseurs et séducteurs. Le personnage de Besner, expression de la vie éphémère, ne s’ennuie donc pas. Il est actif. Il est souvent penseur, sinon joueur. Si parfois le personnage prend des airs de cirque, ce n’est pas rare de le trouver dans une réception hautement protocolaire. Le personnage de Besner se plaît à déambuler devant nous. Fort conscient de notre présence, il nous regarde, nous renvoyant peut-être les mêmes questionnements qui amènent l’artiste à sa création?

L’expression faciale des personnages de Besner est très accentuée. Même lorsque le visage est blanc et que les traits ne sont pas schématisés, ses figures regorgent de  caractère. Le regard droit ou en plongée change la lecture que l’on fait des attitudes des personnages. Que leur regard soit soutenu par le rehaussement des sourcils, par la dimension ou la couleur des yeux, celui de chacun est différent. La saillie des joues, les lèvres prononcées et le menton relevé sont les expressions des états d’esprit et des états affectifs de ces figures d’un monde où la réflexion et la séduction sont les maîtres.

Les personnages de Besner sont également fort solides et, le plus souvent, monumentaux. Quelquefois même, ils deviennent le monument, image ultime de la mémoire du passage de la vie et de sa célébration. Qu’ils soient présentés en pied ou en buste, ces figures sont devenues l’expression d’une grandeur dont les proportions dépassent le naturel.


Le mouvement

Le mouvement est une autre force présente dans les œuvres de Besner. Plastiquement, l’artiste utilise des couleurs et des motifs pour installer la mobilité dans l’œuvre. L’utilisation de bandes verticales colorées, dans un tableau où un cheval s’élance à la vitesse d’un motorisé, renforce l’effet de mouvement, produisant ainsi l’impression d’un paysage qui glisse sous les yeux du spectateur. Besner use de situations variées dans lesquelles ses personnages interagissent, seuls ou en groupe, avec leur environnement. Un élan dynamique créé par le saut d’un personnage ou la position d’un autre sur son véhicule, le regard plongé vers la droite suggérant sa sortie prochaine du cadre fictif de l’image, en sont d’autres exemples. La représentation ultime du mouvement est le cercle. Forme élémentaire, le cercle est omniprésent dans les œuvres de l’artiste. Que le personnage soit arrêté ou en pleine action, ce motif répétitif, inséré consciemment ou non, est à la fois l’image du cycle perpétuel de la vie et de la mort, l’élément pur de la géométrie, l’outil de l’architecte et le symbole de la vitesse.

L’animal

Encore loin de son image naturaliste, la figure de l’animal est plus près d’une iconographie symbolique. Pondérée et rageuse, cette figure, chez Besner, illustre les passions viscérales et brutes, forces profondes de la vie qui sont à l’origine de l’histoire de l’homme et de sa vie sur terre. Les allures et la physionomie de l’animal permettent à l’artiste de montrer la vitalité qui l’entoure, celle incarnée par la ville, lieu de violence et de plaisance. La nature animale est un des moyens d’expression de la force de la vie.

L’animal revêt aussi, chez Besner, l’image plus ludique du cirque. D’abord lieu de combats, le cirque moderne est devenu un air de jeux et d’amusements. Dans cet univers fantastique, le duel peut être féroce et le délassement fort récréatif. La prestation, le faste, la décoration, les couleurs attrayantes que regroupe ce spectacle ne sont pas bien loin de l’univers dans lequel se présente l’animal de Besner.


La couleur

La couleur. Voilà l’élément plastique non négociable de Besner. Elle lui sert à la fois à différencier les personnages de leur espace et à établir les différents plans de cet espace. Le traitement de la couleur, chez Besner, est libre. Même si parfois elle est délimitée par le trait du dessin, elle n’en est jamais prisonnière, puisqu’elle éclate à l’intérieur du dessin. C’est la couleur qui régit le tableau. Du velours grenat légèrement chatoyant au rouge bourgogne et au mauve royal, la palette de Besner compte aussi le rouge vif que le gris mat. La palette de Besner n’a pas de limite. Que le peintre exploite le rouge, le bleu, le vert clair, le brun ou le gris, sa couleur est indisciplinée, confrontant ou se confondant avec sa voisine, selon le cas. La couleur chez Besner est aussi éclatée que le monde qui l’entoure, aussi quantifiable que les couleurs multiples de la ville. La vivacité colorée lui sert autant à représenter la force de l’émotion qu’à représenter l’ambiance d’un événement.

La couleur de même que les attitudes des personnages révèlent des ambiances variées. Le noir enveloppant d’un salon sombre ou le rouge vif d’une fête dansante permettent à l’œuvre de transcender le plan pictural pour amener le personnage dans un univers éloquent. Il s’en dégage l’esprit d’un environnement où se plongent les personnages.


Le dessin

Le dessin, dans l’œuvre de Besner, est d’abord le moyen de suggérer des motifs. C’est par lui que sont souvent apparus les signes d’une architecture ou certains objets du décor pictural. Le peintre habille son décor en y ajoutant des traits fins et noirs évoquant un espace ou un paysage, un motif ou une figure supplémentaire. Le trait du dessin est aussi la trace du mouvement. Par lui, l’artiste s’affirme et le spectateur accède à la gestuelle de la pratique de l’artiste.

Notons que le trait dessiné prend souvent la forme d’un cerne. Plus épais et souvent enrichi par l’utilisation du pastel, ce cerne n’entoure pas nécessairement les formes. Il intervient comme un élément d’équilibre architectural, et il joue souvent le rôle d’une touche de lumière. Il souligne les formes et accentue les grandes lignes de l’architecture tout comme le fait le dessin.